La Peste Équine (African Horse Sickness, AHSV) représente un risque sanitaire majeur et mondial pour la filière équine. Transmise exclusivement par des insectes vecteurs, cette arbovirose figure sur la liste des maladies à déclaration obligatoire. Comprendre ses mécanismes et sa propagation est essentiel pour mettre en place des stratégies de lutte efficace.

1. Étiologie : Le Virus et Ses Sérotypes
La Peste Équine est causée par le virus de la peste équine (AHSV).
• Classification: Ce virus appartient au genre Orbivirus de la famille des Reoviridae, tout comme le virus de la Fièvre Catarrhale Ovine (FCO ou Bluetongue).
• Structure et Génome : L'AHSV est dépourvu d'enveloppe et possède une capside à symétrie icosaédrique. Son génome est segmenté, constitué de dix segments d'ARN double brin.
• Sérotypes : Il existe neuf sérotypes distincts, tant au niveau antigénique qu'immunologique. Cette diversité est cruciale pour la prophylaxie, car l'immunité est spécifique au sérotype.
2. Pathogénie : De la Piqûre à l'Œdème
L'infection débute par la piqûre d'un Culicoides infecté, permettant l'inoculation du virus dans l'organisme de l'équidé.
• Multiplication et Diffusion : Le virus se multiplie initialement dans les nœuds lymphatiques avant de se disséminer par voie lymphatique et sanguine vers des organes clés comme la rate, les poumons et le cœur. Il se multiplie également dans les monocytes, les macrophages et les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins.
• Lésions Cardiovasculaires : L'infection est septicémique. L'action du virus fragilise les parois capillaires, entraînant une augmentation de la perméabilité vasculaire et une transsudation du plasma dans les tissus et les cavités corporelles. Ce phénomène est particulièrement grave au niveau des poumons (œdème) et du cœur (défaillance cardiaque).
• Virémie : La virémie est précoce et intense, et elle est propice à la transmission vectorielle. Chez le cheval, elle est fugace, ne dépassant généralement pas 18 jours. Cependant, chez les ânes et les mulets, le génome viral peut être détecté sur une période allant jusqu'à 55 jours.
3. Épidémiologie : Les Vecteurs et la Saisonnalité
La Peste Équine est une maladie vectorielle, ce qui conditionne fortement sa répartition géographique et son évolution.
• Zone d'enzootie: La maladie est enzootique en Afrique subsaharienne (du Sénégal et dela Gambie à l'Éthiopie, jusqu'en Afrique du Sud). Elle provoque des flambées épizootiques meurtrières lorsqu'elle se répand dans des régions indemnes.
• Transmission : La transmission est uniquement indirecte par l'intermédiaire d'arthropodes hématophages.
Le vecteur biologique majeur est le moucheron piqueur du genre Culicoides (Famille Ceratopogonidae, Ordre Diptères). Culicoides imicola est un vecteur prépondérant en Afrique et en Europe du Sud.
• Saisonnalité : L'évolution de la maladie est directement liée aux périodes d'activité des vecteurs en saison chaude et humide. Les plus fortes densités de Culicoides (DAP) sont généralement obtenues en fin de saison des pluies , ce qui constitue la période à fort risque de transmission.
• Réservoirs : Le cheval est l'espèce la plus sensible. Les ânes et les mulets, bien que moins sensibles, sont suspectés de jouer un rôle de réservoir du virus pendant la saison de non-activité des insectes vecteurs, grâce à leur virémie plus longue.

4. Signes Cliniques : Les Quatre Formes Classiques
L'incubation varie en moyenne de 3 à 15 jours. La maladie peut évoluer sous quatre formes principales, selon la prédominance des atteintes pulmonaires ou cardiaques.
- Forme Pulmonaire (Aiguë/Suraiguë) : Fièvre rapide (41-42°C), détresse respiratoire sévère (dyspnée, touxspasmodique) || Jetage spumeux et abondant, aspect de "blanc d’œufs en neige" s'écoulant des naseaux||Mort par asphyxie en 24 à 48 heures.
- Forme Cardiaque (Œdémateuse) : Fièvre modérée (39-40°C) || Œdèmes sous-cutanés (fosses supra-orbitales, paupières, face, encolure, poitrine), donnant l'aspect de "tête d'hippopotame" || Signes cardiaques (bruits du cœurfaibles, péricardite exsudative) || Mort en 3 à 10 jours après l'apparition des œdèmes.
- Forme Mixte (Intermédiaire) : Coexistence des signes pulmonaires (moins intenses) et des œdèmes sous-cutanés.
- Forme Fébrile (Atypique) :Simple hyperthermie transitoire, légère polypnée || Guérison en 10 à 15 jours || Fréquente chez les races peu réceptives (ânes, mulets).
5. Diagnostic : L'Importance du Laboratoire
Le diagnostic clinique peut orienter la suspicion, surtout pour la forme aiguë, mais le recours au laboratoire est indispensable pour la confirmation et l'identification du sérotype.
• Prélèvements : Sang sur anticoagulant (pour isolement viral et RT-PCR) et rate/nœuds lymphatiques (pour histopathologie).
• Méthodes Directes (Détection du virus/génome) :
◦RT-PCR : C'est une technique particulièrement sensible et rapide pour détecter l'ARN génomique viral (segment S7). Elle peut détecter le virus dans le sang en 48 heures, ce qui est beaucoup plus précoce que l'isolement en culture cellulaire (qui nécessite 7 à 15 jours minimum). La RT-PCR est essentielle pour le dépistage précoce, surtout pour les souches peu virulentes.
◦Isolement Viral : Tenté le plus tôt possible, pendant la phase fébrile initiale, par inoculation sur cultures cellulaires (Vero, BHK) ou sur œufs embryonnés.
◦ELISA de capture d'antigène : Utilisé pour la détection rapide des antigènes viraux.
• Méthodes Indirectes (Détection des Anticorps) :
◦Réaction de Fixation du Complément : Méthode sérologique de référence recommandée par l'OIE pour détecter les anticorps de groupe.
◦Séroneutralisation : Technique de choix pour l'identification du sérotype en cause. Les anticorps neutralisants apparaissent à partir de la 3ème semaine.
6. Traitement et Prophylaxie : Une Lutte Essentiellement Préventive
Il n'existe aucun traitement spécifique contre la Peste Équine. La prise encharge se limite à une thérapie de soutien et un traitement symptomatique.
La lutte repose donc sur la prophylaxie sanitaire et médicale.
Prophylaxie Sanitaire (Lutte contre l'introduction et l'extension)
1. Mesures de Police Sanitaire : En cas de foyer, l'isolement et l’abattage des animaux atteints/contaminés, la destruction des cadavres, et l'interdiction des mouvements d'équidés sont mis en œuvre.
2. Lutte Anti-Vectorielle : Il est essentiel d'interrompre le cycle de transmission. Cela inclut :
◦La protection des équidés par des insecticides (répulsifs).
◦La protection des bâtiments d'élevage (protection des ouvertures par des filets à mailles adaptées et imprégnées d'insecticide).
◦La réduction ou l'élimination des sites de prolifération des vecteurs (gîtes larvaires) aux abords des exploitations.
◦Le contrôle des importations exige une quarantaine et des preuves de protection contre les Culicoides pendant le transport et le séjour.
Prophylaxie Médicale (Vaccination)
• Protection Sérospécifique: L'immunité est spécifique au sérotype ; il est donc crucial de vacciner les animaux contre tous les sérotypes présents dans une zone donnée.
• Vaccins Actuels (Vivants Atténués) : Ces vaccins sont les plus couramment utilisés (polyvalents) mais suscitent des réserves quant à leur innocuité. Les inconvénients incluent le risque de réversion à la virulence et la possibilité d'apparition de virus réassortants.
• Développement d'un Vaccin plus Sûr : Un vaccin multivalent à virus inactivé est actuellement en cours de développement, considéré comme la meilleure solution à moyen terme, car il pallierait les risques associés aux vaccins vivants atténués.
La Peste Équine, transmise par Culicoides, impose une vigilance constante, surtout pendant la saison humide, période où l'activité du vecteur atteint son paroxysme, rendant la détection rapide et la prophylaxie rigoureuse (sanitaire et médicale) absolument indispensables.
Références
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